Après la Révolution islamique (1979), les murs de la capitale iranienne sont devenus les supports occasionnels de fresques. D’abord essentiellement idéologiques, les thèmes traités se sont diversifiés dans les années 2000. On trouve bien sûr des sujets propres à la politique de la République islamique (le combat des Palestiniens contre l'occupation israélienne, les Guides de la Révolution : image 1), les martyrs de la guerre Iran-Irak (images 2 et 3), mais aussi des peintures en trompe-l’œil (images 4 à 7), des personnages (images 12 à 14), des représentations de villes (image 9) et de paysages (image 8), des animaux (images 10 et 11). Certaines peintures réfèrent à des modèles précis : telle peinture (image 12) s’inspire des peintures courtoises safavides, telle autre (image 13) d’un livre du XVe siècle illustrant l’ascension céleste du Prophète Muhammad (images 15a et b), telle autre encore (image 14) est une lointaine et étonnante réminiscence des icônes du christianisme orthodoxe (image 16). Nombre de peintures évoquent une ascension, une métamorphose, une libération : des personnages s’envolent (images 6 et 7), comme pour échapper à une atmosphère urbaine pesante, ou plus profondément à une situation sociopolitique oppressante.
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Photographies : Patrick Ringgenberg
Sources
Image 15a : le Prophète Muhammad chevauchant une monture ailée (Mi'râdj Nameh, XVe siècle).
Image 15b : une houri au paradis (Mi'râdj Nameh, XVe siècle).
Image 16 : la Vierge et l'Enfant sur une icône russe contemporaine.
Les monts Zagros
Le désert du Lut
Le désert du Kavir
Le détroit d'Hormoz
L’île de Qeshm
Téhéran
Photographies : NASA
Construite entre 1612 et 1627 par le roi safavide Shâh Abbâs Ier, la mosquée Royale à Ispahan (aujourd’hui la mosquée de l’Imam) est l’une des plus belles mosquées d’Iran. Conçue par un architecte de la ville, Ali Akbar Esfahâni, elle possède, à la différence de tant d'autres mosquées transformées au cours des siècles, une remarquable unité architecturale et décorative. Son splendide décor de céramique émaillée, où des motifs végétaux (symboles paradisiaques) s'associent à des calligraphies de la parole divine (noms saints, versets coraniques), emploie principalement du jaune (évoquant le soleil et la lumière divine), du bleu et du turquoise (des couleurs associées au ciel dans la tradition persane).
Bordant un petit côté de la place Naqsh-e Djahân, elle est annoncée par un haut portail décoré de mosaïque de céramique émaillée.
Dans le vestibule d’entrée, surmonté d’une coupole, un désaxement de 45° entre la salle à coupole et son iwan a été rendu nécessaire pour aligner le portail d’entrée sur les galeries de la place, tout en orientant la mosquée vers La Mecque.
La mosquée adopte un plan classique : une cour quadrangulaire, dont le milieu de chaque côté est bordé d’un iwan. Exceptionnellement, chaque iwan précède une salle carrée surmontée d’une coupole. Beaucoup plus grand que les trois autres, le dôme de la salle principale de la qibla (l'orientation vers La Mecque) est le seul à être couvert de céramiques émaillées.
Flanqué de deux minarets, l’iwan sud précède la salle de prière principale, contenant un mihrab et un minbar en marbre, et coiffée d'une majestueuse coupole à double coque.
De part et d’autre de la salle à coupole sud, deux grandes salles de prière hypostyles sont voûtées chacune de huit petites coupoles. Dans la salle est, sur le mur opposé au mihrab, un panneau de céramique représente un jardin paradisiaque et des animaux.
De part et d’autre des salles hypostyles, à l’est et à l’ouest, deux madrasas faisaient de la mosquée un centre d’étude. Restaurées au XIXe s., elles ne comportent qu’un seul étage de pièces d’habitation, mais leur cour offre un point de vue unique sur le grand dôme de la salle de prière sud.
Comme la salle de prière sud, les salles de prière est et ouest sont des salles à coupole précédées d’un portail (d’un iwan), mais de taille plus petite. Elles sont également décorées, à l’intérieur, de carreaux de céramique, déclinant surtout des motifs floraux et des calligraphies de versets coraniques.
Pour en savoir plus la mosquée persane et sa symbolique, on pourra lire
Le symbolisme de la mosquée persane
Photographies : Patrick Ringgenberg, à l'exception de l'image satellite (Google Earth, droits réservés).
Les cités iraniennes abritent des trésors peu connus et peu visités : des centaines de maisons traditionnelles, datant pour la plupart de l'époque qâdjâre (1779-1925), dissimulées par de hauts murs, parfois laissées à l'abandon. La maison des Fatemi à Nâ'in témoigne de cette richesse le plus souvent délabrée. Les images ont été prises en septembre 2001, alors que la maison faisait l'objet de restaurations.
Photographies : Patrick Ringgenberg
En 1604-5, alors que la guerre entre l’Empire ottoman et l’Iran safavide dure depuis des décennies, Shâh Abbâs Ier décide de contrer l’avancée ottomane en Arménie par la tactique de la terre brûlée : il fait détruire des récoltes et des cités, et déporte des centaines de milliers d’Arméniens dans les villes iraniennes. Il fit ainsi emmener 20’000 habitants de Djolfâ, une cité commerçante près de l’Araxe, à Ispahan, où ils s’installèrent dans un quartier baptisé la Nouvelle Djolfâ. En échange de ses bons et loyaux services, le roi octroya à la communauté une indépendance administrative et judiciaire et le monopole du commerce de la soie. Sa prospérité favorisa une étonnante floraison artistique et intellectuelle, dont témoignent encore treize églises. La plus importante est la cathédrale de Vank (1658-62). Construite en briques, son plan s’inspire des mosquées à coupole sur pendentifs safavides. Les céramiques sont arméniennes par leurs thèmes religieux, et safavides par la technique et certaines scènes bucoliques. Les peintures murales intérieures sont de style italo-flamand ponctué d’influences russes : elles représentent des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que la vie de saint Grégoire l’Illuminateur, qui convertit l’Arménie au christianisme au début du IVe siècle. Les douze autres églises datent presque toutes du XVIIe s.: Saint-Grégoire-l’Illuminateur a été construite au XVIIIe siècle, Saint-Etienne et Saint-Jacques ont été restaurées au XIXe siècle. Leur esthétique est analogue: une architecture en briques mi-arménienne, mi-safavide, des peintures et des céramiques mi-orientales mi-européennes.
Le témoignage de Jean Chardin (XVIIe siècle)
Un riche marchand du lieu, nommé Avadick, qui avait voyagé en Italie, s’était laissé persuader que de peindre les églises était d’un grand mérite devant Dieu, parce que les églises pleines de peintures lui sont bien plus agréables que les autres. Ce marchand, dis-je étant de retour à Julfa [c’est-à-dire la Nouvelle Julfa à Ispahan], se mit à importuner l’évêque et les moines pour lui laisser peindre l’église. Elle était auparavant nue, à la manière des Arméniens qui ne souffrent point de représentation dans leurs églises, qu’un tableau de la Vierge avec son enfant dans ses bras, posé sur la table sacrée. Après beaucoup de résistance, on y consentit enfin, mais on s’en est bien repenti depuis ; car les Mahométans viennent à cette église, comme à un théâtre, pour se divertir de la vue de ces peintures. Il leur en faut ouvrir les portes à toute heure ; et comme ils abhorrent les images, c’est une occasion à la plupart de maudire le peuple chrétien et sa religion, croyant que ces peintures sont leurs idoles et les objets de leur culte. Les Arméniens mirent plusieurs fois en délibération, de mon temps, d’ôter et d’effacer toutes ces peintures-là ; et ils l’auraient assurément fait, s’ils n’eussent appréhendé que les Mahométans ne se missent en colère de ce qu’on leur aurait ôté un divertissement.
Extrait de Jean Chardin, Voyage en perse, textes choisis et présentés par Claude Gaudon, UGE, 10/18, 1965, p. 306-307.
La cathédrale Vank (1658-1662)
L’église Sainte-Bethléem (1628)
Photographies : Patrick Ringgenberg
La mosquée Vakil
Construite en 1773 par Karim Khân Zand, qui avait fait de Shirâz sa capitale, la mosquée Vakil présente un plan particulier : sa cour n’est bordée que de deux iwans en vis-à-vis (au lieu de quatre, comme dans les grandes mosquées d’Isfahan par exemple), et d’une grande salle hypostyle aux colonnes torsadées et aux chapiteaux à feuilles d’acanthe, mais dépourvue de salle à coupole. Le décor ponctuel de céramiques émaillées reprend nombre de thèmes safavides, mais dans une gamme de couleurs où prédomine, à la différence des bleus, jaunes ou turquoise du siècle précédent, une association de jaune, de blanc et de rose, – cette dernière couleur apparaissant au XVIIIe siècle dans le décor.
Décor de l'iwan d'entrée.
Salle hypostyle.
Mihrab.
La mosquée Nasir ol-Molk
Construite entre 1876 et 1887, la mosquée Nasir ol-Molk faisait partie d’un ensemble (maison, hammam) partiellement disparu. Comme la mosquée Vakil, elle possède deux iwans en vis-à-vis et l’une de ses salles de prière a des colonnes torsadées éclairées par des vitraux.
Cour.
Décor de la cour.
Voûte.
Salle hypostyle.
La mosquée réfléchie dans le bassin.
Les chiffres romains se rapportent aux différentes parties du Livre des rois et permettent de situer les personnages au sein de l’épopée :
I. Partie mythique : du règne de Kyumars à la mort de Fereydun.
II. Partie héroïque : du règne de Manuchehr à celui de Dârâb.
III. Partie historique : du règne de Dârâ (Darius III) à la fin du livre.
Pour un résumé du Livre des rois
Âbtin – I : descendant de Tahmuras, père de Fereydun.
Adergushasp – II et III : temple.
Afrâsyâb – II : fils de Pashang, roi du Turân.
Ahriman – figure du mal dans le zoroastrisme.
Ahura Mazda – divinité suprême dans le zoroastrisme.
Alborz – chaîne de montagnes au nord de l’Iran.
Ardashir – III : roi sassanide / Ardashir Ier, fondateur de la dynastie sassanide (règne 224-241).
Arnevâz – I : fille de Djamshid, mère d’Iradj.
Aulâd – II : maître d’une région du nord de l’Iran.
Avesta – livre sacré du zoroastrisme.
Bahman – II : fils d’Esfandyâr, roi d’Iran.
Bahrâm Chubineh – III : général des Sassanides.
Bahrâm fils de Bahrâm – III : roi sassanide.
Bahrâm fils de Ormuzd – III : roi sassanide.
Bahrâm fils de Shâpur – III : roi sassanide.
Bahrâm Gur – III : roi sassanide / Bahrâm Gur (règne 421-439).
Bârbad – III : musicien de Khosrow Parviz.
barsom – faisceau de branches utilisé dans les rituels par les prêtres zoroastriens.
bazm o razm – « banquet et guerre ».
Behesht-e Gangue – II : ville légendaire.
Bijen – II : fils de Giv, héros.
Buzurdjmihr – III : sage et vizir de Khosrow Anushirvan / Bozorgmehr (VIe siècle).
Damâvand – montagne de l’Alborz.
Dârâ – III : fils de Dârâb et de la fille de l’empereur byzantin, dernier roi achéménide d’Iran / Darius III (règne 336-330 avant notre ère).
Dârâb – II : fils de Bahman et de sa fille Homây, roi d’Iran.
dastur – personnage ayant une autorité politique ou spirituelle.
dehqân – petit propriétaire terrien.
div – démon.
Div Akvân – II : démon.
Div Arjang – II : démon.
Div blanc – II : démon.
Djamshid – I : fils de Tahmuras, quatrième roi mythique.
Djihoun – aujourd’hui Amou Darya : fleuve d’Asie centrale.
Esfandyâr – II : fils de Goshtâsp.
Farangis – II : fille d’Afrâsyâb, épouse de Syâvush et mère de Key Khosrow.
farr (en vieux perse : khvarnah) – lumière de gloire, émanée de Dieu, et donnant au roi le pouvoir, la force et la sagesse.
Fârs – province de l’Iran actuel, au sud du pays. La région fut le berceau des dynasties achéménide et sassanide.
Fereydun – I : descendant de Tahmuras, premier roi après la tyrannie de Zahâk.
Gangue Diz – II : ville du Turân fondée par Syâvush.
Garsivaz – II : frère d’Afrâsyâb.
Gayomart – voir : Kyumars.
Gershâsp – II : fils de Zow, roi d’Iran.
Giv – II : fils de Gudarz et père de Bijen, héros.
Gordieh – III : sœur du général Bahrâm Chubineh.
Gorgin – II : compagnon de Bijen.
Goshtâsp – II : fils de Lohrâsp, roi d’Iran.
Gudarz – II : père de Giv, héros.
Gurdaferid – II : guerrière iranienne.
haft khân – « sept épreuves ».
Hâmâvarân – II : Yémen.
Homây – II : fille de Bahman, reine d’Iran.
Hormuzd – III : roi sassanide.
Hum – II : ermite.
Hushang – I : petit-fils de Kyumars, second roi mythique.
Iradj – I : fils de Feridun, roi d’Iran.
Iskandar – III : Alexandre le Grand (356-323 avant notre ère).
Kâveh – I : forgeron.
Key Kâvus – II : fils de Keyqobâd, roi d’Iran.
Key Khosrow – II : fils de Syâvush et de Farangis, roi d’Iran.
Keyanides – II : dynastie iranienne légendaire.
Keyqobâd – II : descendant de Feridun, roi d’Iran.
Khosrow Anushirvan – III : roi sassanide / Khosrow Anushirvan (règne 531-579).
Khosrow Parviz – III : roi sassanide / Khosrow Parviz (règne 591-628).
khvarnah – voir : farr.
Kyumars – I : premier roi mythique.
Lohrâsp – II : descendant de Hushang, roi d’Iran.
Mahui – III : assassin du dernier roi sassanide (Yazdegerd).
Makrân – région de l’Est iranien.
Manijeh – II : fille d’Afrâsyâb, épouse de Bijen.
Manuchehr – II : petit-fils de Feridun, roi d’Iran.
Mâzandarân – région au nord de l’Iran, au bord de la mer Caspienne.
Mazdak – III : fondateur d’un mouvement religieux et social à la fin du Ve et au début
du VIe siècle.
Mehrâb – II : petit-fils de Zahâk, roi de Kaboul.
Merdâs – I : père de Zahâk, roi arabe.
mobed – prêtre zoroastrien.
Nowruz – Nouvel An du calendrier solaire iranien, le 21 mars.
Nowzar – II : fils de Manuchehr, roi d’Iran.
Ormuzd fils de Nersi – III : roi sassanide.
Ormuzd fils de Shâpur – III : roi sassanide.
pahlavân – chevalier.
Parthes – dynastie iranienne historique de l’Iran (env. 247 av. J.-C.-224).
Pashang – II : descendant de Tur, roi du Turân.
peri – génie, fée.
Pirân – II : pahlavân d’Afrâsyâb.
Piruz fils de Yazdegerd – III : roi sassanide.
Qobâd – III : roi sassanide.
Rakhsh – II : cheval de Rostam.
Rostam – II : fils de Zâl et de Rudâbeh, héros.
Rudâbeh – II : fille de Mehrâb, épouse de Zâl.
Rum – le pays de Rum : l’Asie mineure ou l’Occident.
Salm – I : fils de Feridun, roi de Rum.
Sâm – II : héros.
Sarv – I : roi du Yémen.
Sassanides – III : dynastie iranienne historique de l’Iran (224-651).
Shahrnâz – I : fille de Djamshid, mère de Salm et Tur.
Shâpur Dhu’l Aktâf – III : roi sassanide.
Shâpur fils d’Ardashir – III : roi sassanide.
Shâpur fils de Shâpur – III : roi sassanide.
Simorgh – II : oiseau fabuleux.
Sindokht – II : épouse de Mehrâb.
Sistân – région de l’Est iranien.
Sohrâb – II : fils de Rostam et de Tahmineh, héros.
Sorush – I, I, III : ange.
Sudâbeh – II : fille du roi du Hâmâvarân, épouse de Key Kâvus.
Syâmak – I : fils de Kyumars.
Syâvush – II : fils de Key Kâvus.
Syâvushgerd – II : ville du Turân fondée par Syâvush.
Tahmineh – II : fille du roi de Semengân (Turân), épouse de Rostam.
Tahmuras – I : fils de Hushang, troisième roi mythique.
Tur – I : fils de Feridun, roi du Turân.
Turân – le pays de Tur : le Turkestan ou pays des Turcs, de l’Asie centrale à l’ouest de
la Chine.
Yazdegerd – III : dernier roi sassanide / Yazdegerd III (règne 632-651).
Zahâk – I : fils de Merdâs, tyran mythique.
Zâl – II : fils de Sâm et père de Rostam, héros.
Zarathoustra / Zoroastre – II : « prophète » du zoroastrisme.
Zendavesta – voir : Avesta.
Zereh – lac : sans doute le lac Hamun dans l’actuel Sistân iranien.
Zow – II : fils de Tahmâsp et descendant de Feridun, roi d’Iran.
DJAMSCHID
(Son règne dura 7oo ans.)
Djamshid, son fils glorieux, plein d’énergie, et le cœur rempli des conseils de son père, monta sur le trône brillant de Tahmuras, la couronne d’or sur la tête, selon la coutume des rois ; il était ceint de la splendeur impériale, et l’univers entier se soumit à lui. Le monde était calme et sans discorde, et les Divs, les oiseaux et les Péris lui obéirent. La prospérité du monde s’accrut par lui, et le trône des rois brilla sous lui. Il dit : «Je suis orné de l’éclat de Dieu, je suis roi et je suis Mobed ; j’empêcherai les méchants de faire le mal, je guiderai les esprits vers la lumière.» D’abord il s’occupa des armes de guerre pour ouvrir aux braves la route de la gloire. Il amollit le fer par sa puissance royale, et lui donna la forme de casques, de lances, de cuirasses, de cottes de mailles, et d’armures pour couvrir les chevaux. Il acheva tout cela par les lumières de son esprit ; il y travailla pendant cinquante ans, et se fit un trésor de ces armes. Pendant cinquante autres années, il tourna ses pensées vers la fabrication des vêtements, pour que l’on pût s’en couvrir aux jours de fête et de combat. Il fit des étoffes de lin, de soie, de laine, de poil de castor et de riche brocart ; il enseigna aux hommes à tordre, à filer et à entrelacer la trame dans la chaîne ; et quand l’étoffe était tissue, ils se mirent à apprendre de lui, tout à la fois, à la laver et à en faire des habits. Cela étant achevé, il commença un autre travail ; le monde était heureux par lui, et lui-même se trouvait heureux. Il réunit ensemble ceux qui exerçaient les mêmes professions et y employa cinquante ans. D’abord la caste de ceux qu’on nomme Amousian : sache qu’ils sont voués aux cérémonies du culte. Il les sépara du reste du peuple, et leur assigna les montagnes pour y adorer Dieu, pour s’y consacrer à la religion et se tenir en méditation devant Dieu le lumineux. De l’autre côté se plaça une caste, à laquelle fut donné le nom de Nisarian ; ce sont eux qui combattent avec le courage des lions, qui brillent à la tête des armées et des provinces, qui ont à défendre le trône du roi, et à maintenir la gloire que donne la bravoure. Sache que la troisième caste porte le nom de Nesoudi : ils ne rendent hommage à personne; ils labourent, ils sèment, ils récoltent et se nourrissent des fruits de leurs travaux sans reproche. Ils n’obéissent à personne, quoique leurs vêtements soient pauvres, leur oreille n’est jamais frappée par le bruit de la calomnie. Ils sont libres, et la culture de la terre leur est due ; ils n’ont pas d’ennemis; ils n’ont pas de querelles. Un homme sage et libre a dit : «C’est la paresse qui rend esclaves ceux qui devraient être libres.» La quatrième caste est celle des Ahnoukhouschi, qui sont actifs pour le gain et pleins d’arrogance ; les métiers sont leur occupation, et leur esprit est toujours en souci. Djamshid y employa encore cinquante ans, pendant lesquels il conféra beaucoup de bienfaits. Il assigna à chacun la place qui lui convenait, et leur indiqua leur voie, pour que tous comprissent leur position et reconnussent ce qui était au-dessus et au-dessous d’eux. Puis le roi ordonna aux Divs impurs de mêler de l’eau avec de la terre ; et lorsqu’ils eurent compris ce qu’on pouvait en faire, ils préparèrent des moules pour y former des briques légères. Les Divs construisirent d’abord un fondement avec des pierres et du mortier, puis ils élevèrent au-dessus des ouvrages selon les règles de l’art, comme des bains et de hauts édifices, et un palais pour que l’infortune y trouvât un asile. Il employa un autre espace de temps pour chercher parmi les pierres celles qui sont précieuses, et le roi investigateur fit ressortir leur éclat ; il découvrit toute espèce de minéraux précieux comme le rubis, l’ambre jaune, l’argent et l’or. Il les sépara des autres pierres par son art magique, et résolut entièrement ce mystère. Puis il inventa les parfums que les hommes aiment à respirer, comme le baume, le camphre et le pur musc ; comme l’aloès, l’ambre et l’eau de rose limpide. Après, il inventa la médecine, les remèdes contre tout mal, et les moyens de conserver la santé et de guérir les blessures. Il mit au jour tout ce qui était secret ; jamais le monde n’avait possédé un investigateur comme lui. Ensuite il se mit à parcourir les mers dans un vaisseau, visitant rapidement pays après pays. C’est ainsi qu’il remplit encore cinquante années, et nulle qualité des êtres ne restait cachée devant son esprit.
Lorsque toutes ces grandes choses furent accomplies, il ne vit plus dans le monde que lui-même ; lorsque toutes ces entreprises eurent réussi, il essaya de s’élever au-dessus de sa haute condition. Il fit un trône digne d’un roi, et y incrusta toute sorte de pierreries ; et à son ordre les Divs le soulevèrent et le portèrent de la terre vers la voûte du ciel. Le puissant roi y était assis comme le soleil brillant au milieu des cieux. Les hommes s’assemblèrent autour de son trône, étonnés de sa haute fortune ; ils versèrent sur lui des joyaux, et donnèrent à ce jour le nom de jour nouveau (Nowruz) : c’était le jour de la nouvelle année, le premier du mois Farvardin. En ce jour, le corps se reposait de son travail, le cœur oubliait ses haines. Les grands, dans leur joie, préparèrent une fête, ils demandèrent du vin, des coupes et des chanteurs ; et cette glorieuse fête s’est conservée, de ce temps jusqu’a nous, en souvenir du roi.
Ainsi s’étaient passés trois cents ans, pendant lesquels la mort était inconnue parmi les hommes. Ils ne connaissaient ni la peine, ni le malheur, et les Divs étaient ceints comme des esclaves. Les hommes étaient attentifs aux ordres de Djamshid, et les doux sons de la musique remplissaient le monde. Ainsi passèrent les années : Djamshid brillait de la splendeur des rois ; le monde était en paix par les efforts de ce maître fortuné. Le roi reçut toujours de nouveaux messages de Dieu, et, pendant longtemps, les hommes ne virent en lui rien que de bien. Le monde tout entier lui était soumis, et il était assis dans la majesté des rois ; mais tout à coup il fixa son regard sur le trône du pouvoir, et ne vit plus dans le monde que lui-même ; lui qui avait rendu jusque-là hommage à Dieu, devint orgueilleux, il se délia de Dieu et ne l’adora plus. Il appela de l’armée tous les grands de l’empire et leur fit beaucoup de discours ; il dit à ces vieillards puissants : «Je ne reconnais dans le monde que moi ; c’est moi qui ai fait naître l’intelligence dans l’univers, et jamais le trône glorieux des rois n’a connu un maître comme moi ; c’est moi qui ai parfaitement ordonné le monde, et la terre n’est devenue ce qu’elle est que par ma volonté. C’est à moi que vous devez votre nourriture, votre sommeil, votre tranquillité ; c’est à moi que vous devez vos vêtements et toutes vos jouissances. Le pouvoir, le diadème et l’empire sont à moi. Qui oserait dire qu’il y a un roi autre que moi ? J’ai sauvé le monde par les médecines et les remèdes, de sorte que les maladies et la mort n’ont atteint personne : tant que le monde aura des rois, qui d’entre eux pourrait éloigner la mort, si ce n’est moi ? C’est moi qui vous ai doués d’âme et d’intelligence ; et il n’y a que ceux qui appartiennent à Ahriman qui ne m’adorent pas. Maintenant que vous savez que c’est moi qui ai fait tout cela, il faut reconnaître en moi le créateur du monde.» Tous les Mobeds laissaient tomber leur tête, personne ne savait que répondre.
Après ce discours, la grâce de Dieu se retira de lui, et le monde se remplit de discorde. Chacun détourna sa face de la cour du roi, aucun des grands ne resta auprès de lui, et pendant vingt-trois ans ils tinrent l’armée dispersée et loin de la cour. Quand la raison ne se soumet pas à Dieu, elle amène la destruction sur elle-même et s’anéantit. Un homme sage a dit avec justesse et prudence : «Quoique tu sois roi, pratique l’humilité envers Dieu; car quiconque ne révère pas le Créateur, ne trouve de tous côtés que des terreurs.» Le jour s’obscurcit devant Djamshid ; son pouvoir, qui avait illuminé le monde, disparut ; le sang roula de ses yeux sur son sein ; il demanda pardon à Dieu : mais sa grâce l’avait abandonné, et les terreurs du criminel s’étaient emparées de lui.
HISTOIRE DE ZAHÂK ET DE SON PÈRE
Il y avait dans ce temps un homme vivant dans le désert des cavaliers armés de lances : c’était un grand roi et un homme vertueux, qui s’humiliait dans la crainte de Dieu, le maître du monde. Son nom était Merdâs ; il était juste et généreux au plus haut degré. Il avait des bêtes à lait, de chaque espèce mille, des chèvres, des chameaux et des brebis, que cet homme pieux confiait à ses bergers. De même il avait des vaches qui donnaient du lait, et des chevaux arabes semblables à des Péris ; et à quiconque demandait du lait, il en donnait avec empressement. Cet homme pieux avait un fils qu’il aimait d’une grande tendresse : Zahâk était le nom de l’ambitieux. Il était courageux, léger et sans souci. On l’appela aussi Peiverasp : c’était son nom en pehlevi (Peiver est un nombre dans cette langue, et signifie dix mille) ; car il possédait dix mille chevaux arabes aux brides d’or, dont le renom était grand. Il était jour et nuit presque toujours à cheval pour acquérir du pouvoir, mais non pour faire du mal.
Un jour Iblis se présenta à son palais sous la forme d’un homme de bien ; il détourna le cœur du prince de la bonne voie, et le jeune homme prêta l’oreille à ses discours. Les paroles d’Iblis lui parurent douces ; il ne se doutait point de ses mauvaises intentions : il lui abandonna son esprit, son cœur et son âme pure, et répandit de la poussière sur sa tête. Lorsque Iblis vit qu’il avait abandonné son cœur au vent, il en eut une joie immense. Il adressa beaucoup de discours avec décence et douceur à ce jeune homme, dont le cerveau était vide de sagesse. Iblis lui dit : «Je sais beaucoup de choses que personne ne peut apprendre que de moi. » Le jeune homme lui répondit : «Dis, et ne tarde pas ; enseigne-moi, homme aux bons avis.» Iblis demanda d’abord son serment, promettant qu’il lui révélerait après la parole de la vérité. Le jeune homme, qui était simple de cœur, fit comme il lui disait, et prêta le serment qu’il lui avait demandé : «Je ne révélerai pas ton secret, j’obéirai à tout ce que tu me diras.» Alors Iblis lui dit : «Pourquoi y aurait-il dans le palais un autre maître que toi, ô seigneur illustre ? A quoi bon un père quand il y a un fils comme toi ? Ecoute maintenant mon conseil. La vie de ce vieillard sera encore longue, et pendant ce temps tu resteras dans l’obscurité. Prends son trône puissant ; c’est à toi que doit appartenir sa place ; et si tu veux suivre mon avis, tu seras un grand roi sur la terre.»
Lorsque Zahâk entendit cela, il se mit à rêver, et son cœur s’apitoyait sur le sang de son père. Il dit à Iblis: «Cela ne se peut pas : conseille-moi autre chose, car cela n’est pas possible.» Iblis lui répondit : «Si tu n’accomplis pas mon ordre, si tu manques à ta promesse et à la foi jurée, ton serment et mon lien demeureront attachés à ton cou ; tu seras un être vil, et ton père restera en honneur.» Il enveloppa ainsi de ses filets la tête de l’Arabe, et l’amena à se décider à lui obéir. Zahâk lui demanda quel moyen il devait prendre, et promit de ne s’écarter en rien de son avis. Iblis lui dit: «Je te préparerai les moyens, j’élèverai ta tête jusqu’au soleil ; tu n’as qu’à observer le silence : voilà tout. Je n’ai besoin de l’aide de personne ; je disposerai tout comme il faudra : seulement garde-toi de tirer du fourreau l’épée de la parole.»
Le roi avait dans l’enceinte du palais un jardin qui réjouissait son cœur ; il avait coutume de se lever avant le jour, pour se préparer à la prière, et de se laver secrètement, dans le jardin, la tête et le corps, sans avoir même un serviteur pour porter son flambeau. Le vil Div perverti creusa dans ce chemin une fosse profonde, couvrit le précipice avec des broussailles, et répandit de la terre dessus. La nuit vint, et le chef des Arabes, ce prince puissant et glorieux, alla vers le jardin ; et lorsqu’il se fut approché du lieu où était la fosse, son étoile pâlit : il tomba dans le fossé et se brisa misérablement. Ainsi périt cet homme bon et pieux. Jamais il n’avait traité avec dureté son fils pour aucune action bonne ou mauvaise. Il l’avait élevé avec tendresse et avec soin ; il était content de lui, et lui donnait des trésors ; et c’est ainsi que son fils malheureux et méchant ne voulut pas répondre à sa tendresse comme il aurait dû, ne fût-ce que par honte. Il se rendit complice du meurtre de son père. J’ai entendu dire par un sage, que même un mauvais fils, fût-il un lion féroce, n’ose verser le sang de son père. S’il y a un mot à cette énigme, c’est chez la mère que l’investigateur peut en apprendre le mystère. Ainsi s’empara le vil, le criminel Zahâk du trône de son père ; il mit sur sa tête la couronne des Arabes, et gouverna son peuple en bien et en mal.
Iblis voyant ces choses accomplies, trama un nouveau plan, et dit à Zahâk : «Aussitôt que tu as tourné ton cœur vers moi, tout ce que tu désirais au monde, tu l’as obtenu; et si tu veux de nouveau t’engager par serment, si tu veux m’obéir et suivre mes ordres, alors le monde entier sera ton royaume ; les animaux sauvages, les oiseaux et les poissons seront à toi.» Lorsqu’il eut parlé de cette manière, il prépara quelque chose de nouveau, et imagina une autre ruse étonnante.
IBLIS SE PRÉSENTE COMME CUISINIER
Il se donna la forme d’un jeune homme à la parole facile, intelligent et pur de corps. Il se présenta devant Zahâk avec des paroles respectueuses, disant : «Puissé-je être agréable au roi ! je suis un cuisinier pur et renommé.» Zahâk l’écouta, le reçut bien, lui assigna un lieu pour son travail, et les clefs de la cuisine du roi lui furent remises par un puissant dastur. Les aliments étaient alors peu variés, car on ne se nourrissait pas de chair ; de tout ce que porte la terre, on ne mangeait que les végétaux.
Ahriman, aux desseins funestes, se consulta alors, et se résolut à tuer des animaux. Il voulait nourrir Zahâk de toute espèce de viandes, tant d’oiseaux que de quadrupèdes, et l’y amena par degrés. Pour lui donner du courage, il le nourrissait de sang comme un lion ; il obéissait à la moindre de ses paroles ; il faisait son cœur esclave des ordres de Zahâk. Il commença par lui préparer du jaune d’œuf, ce qui lui donna une santé vigoureuse en peu de temps ; et le roi fortuné ayant mangé, rendit grâces à Ahriman, et fit ses délices de cette nourriture. Iblis le trompeur lui dit : «Puisse le roi qui porte haut la tête, vivre éternellement ! Je lui préparerai demain un mets qui le nourrira d’une nourriture parfaite.» Il s’en alla et médita toute la nuit quel plat merveilleux il pourrait préparer pour le lendemain. Le lendemain, lorsque la coupole d’azur amena au monde le rubis rouge, il prépara un mets de perdrix et de faisans argentés, et l’apporta le cœur plein d’espoir. Le roi des Arabes se mit à en manger, et abandonna son esprit imprudent à son penchant pour Iblis, qui, le troisième jour, servit sur sa table des oiseaux et de l’agneau mêlés ensemble. Le quatrième jour, lorsqu’il mit la table, il avait assaisonné le dos d’un veau avec du safran, de l’eau de rose, du vin vieux et du musc pur. Le roi y porta la main et en mangea ; il s’étonna de l’intelligence de cet homme, et lui dit : «Cherche ce que tu pourrais désirer, et demande-le-moi, ô homme de bien.» Le cuisinier lui répondit : «O roi, puisses-tu vivre content et puissant à jamais ! Mon cœur est plein d’amour pour toi, et te voir est tout ce que mon âme désire. Je n’ai qu’une chose à demander au roi, bien que cet honneur soit au-dessus de moi ; c’est qu’il veuille permettre que je baise le haut de ses épaules et que j’y applique mes yeux et ma face.» Zahâk, en entendant ce discours, ne se douta pas de son intention secrète, et lui dit: «Je t’accorde la demande, il se peut qu’il en revienne quelque honneur à ton nom.» Il lui permit donc de le baiser sur les épaules, comme étant son ami. Ahriman le baisa, et disparut de la terre ; personne n’a jamais vu chose si étonnante.
Il sortit un serpent noir de chaque épaule de Zahâk, qui en fut consterné, et chercha de tous côtés un remède ; à la fin il les fit couper tous les deux de dessus ses épaules : mais (avec raison tu restes stupéfait) les deux serpents noirs poussèrent de nouveau comme deux branches d’arbre sur les épaules du roi. De savants médecins s’assemblèrent ; chacun dit son avis à son tour, et ils firent des enchantements de toute espèce, mais aucun ne sut remédier au mal. Puis le rusé Iblis se présenta soudain devant Zahâk sous la forme d’un savant médecin, et lui dit : «C’était une chose inévitable. Laisse les serpents, et ne les coupe pas aussi longtemps qu’il y aura de la vie en eux. Prépare-leur de la nourriture, et fais-les manger pour les apaiser : c’est le seul remède dont tu doives te servir. Ne leur donne à manger que des cervelles d’homme, il se peut que cet aliment les fasse mourir.» Quel pouvait être le but du chef des féroces Divs dans cette confusion ? Que voulait-il par ce conseil, si ce n’est de préparer en secret un moyen de dépeupler le monde ?
MORT DE DJAMSHID
Après cela, de grands tumultes remplirent l’Iran et de tous côtés il n’y eut que combats et discordes ; le jour brillant et pur devint noir ; les hommes brisèrent les liens de Djamshid, la grâce de Dieu se retira de lui, et il tomba dans la tyrannie et la démence. De tous côtés s’élevèrent des rois ; sur toutes les frontières se montrèrent des grands de l’empire, qui rassemblèrent des armées et se préparèrent pour le combat, car, ils avaient arraché de leur cœur l’amour de Djamshid. Tout à coup une armée sortit de l’Iran, et se dirigea vers le pays des Arabes. Ils avaient entendu dire qu’il y avait là un homme inspirant la terreur, à face de serpent ; et les guerriers de l’Iran, qui tous demandaient un roi, se dirigèrent vers Zahâk. Ils lui rendirent hommage, comme à leur maître ; ils lui donnèrent le titre de roi de l’Iran. L’homme à face de serpent vint dans l’Iran, rapide comme le vent, pour se mettre la couronne sur la tête ; il rassembla une armée de toutes les provinces de l’Iran et de l’Arabie. Il tourna son regard vers le trône de Djamshid, il prit le monde comme une bague pour le doigt. La fortune abandonna Djamshid, et le nouveau roi le serrant de près, il s’enfuit et lui laissa le trône et la couronne, le pouvoir, la tiare, le trésor et l’armée ; il disparut, et le monde devint noir pour lui, quand il eut abandonné à Zahâk son trône et son diadème.
Durant cent ans personne dans le monde ne le vit ; il avait disparu des yeux des hommes ; mais dans la centième année, ce roi infidèle à la pure doctrine apparut un jour sur le bord de la mer de Chine. Zahâk le saisit à l’improviste, et ne lui accorda pas un long délai ; il le lit scier en deux, et délivra le monde de lui et de la peur qu’il inspirait. Djamshid s’était caché pendant quelque temps devant l’haleine du serpent, mais à la fin il ne put se soustraire à lui.
Ainsi disparut son trône royal et sa puissance ; le sort le brisa comme une herbe fanée. Qui était plus grand que lui sur le trône des rois ? Mais quel fruit lui revint d’avoir su supporté tant de soucis ? Sept cents ans avaient passé sur lui, et lui avaient apporté tout bonheur et tout malheur. A quoi sert une vie longue ? car le monde ne te révèle jamais le secret de ton sort. Il te nourrit de miel et de sucre, et ton oreille n’est frappée que de sons agréables ; mais au moment où tu te vantes qu’il a versé sur toi ses faveurs, que toujours il te montrera sa face d’amour ; au moment où il te flatte et te caresse, quand tu lui as ouvert tous tes secrets, alors il joue avec toi un jeu perfide et fait saigner ton cœur de douleur. Mon cœur est fatigué de ce monde transitoire. O Dieu, délivre-moi promptement de ce fardeau !
Extrait de : Abou’lkasim Firdousi, Le livre des rois, traduit et commenté par Jules Mohl, tome 1, Paris, Imprimerie nationale, 1876, p. 33-47.
Note : les transcriptions de Jules Mohl ont été le plus souvent modifiées.
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TAHMURAS
(Son règne dura 30 ans.)
Hushang avait un fils plein de sagesse, Tahmuras l’illustre, le vainqueur des Divs : Tahmuras vint et monta sur le trône de son père, et ceignit la ceinture de la royauté. Il appela de l’armée tous les mobeds, et leur parla longuement et avec douceur, disant: «Dès ce jour, le trône, et la couronne, et la massue, et le diadème m’appartiennent ; par ma prudence je délivrerai le monde du mal, je ferai de la terre la base de mon trône. Je détruirai partout le pouvoir des Divs, car je veux être le maître du monde ; et toute chose sur la terre qui peut être utile, je la mettrai en lumière, je briserai ses liens.» Puis il tondit la laine sur le dos des brebis et des moutons, et on se mit à la filer ; et, par ses efforts, il parvint à en faire des habits. Il enseigna de même l’art de tisser les tapis. A tous les animaux qui étaient bons coureurs, il donna à manger des herbes, de la paille et de l’orge. Il observa aussi toutes les bêtes sauvages : il choisit entre elles le chacal et le guépard ; il trouva moyen de les amener du désert et des montagnes, et il mit à l’attache cette multitude d’animaux. Il prit de même, parmi les oiseaux, ceux qui sont les mieux armés, comme le gerfaut et le faucon royal au cou élancé ; il les instruisit, et les hommes s’en étonnèrent. Il ordonna de calmer leur ardeur par des caresses, et de ne leur parler qu’avec une voix douce. Cela étant fait, il prit des coqs et des poules pour chanter à l’heure où l’on bat le tambour. C’est ainsi qu’il ordonnait tout convenablement, recherchant ce qui était inconnu et pouvait être utile. Il dit à son peuple: «Adorez Dieu, et rendez grâce au Créateur du monde, car c’est lui qui nous a donné le pouvoir sur les animaux ; rendez-lui grâce, car c’est lui qui nous a dirigés.»
Il avait un dastur pur qui se tenait loin des voies du mal et qui était révéré en tout lieu ; Shidasp était son nom. Il ne portait ses pas en toutes choses que vers le bien : toute la journée, sa bouche était fermée à la nourriture ; toutes les nuits, il se tenait en prières devant Dieu. Il était cher au cœur de tous les hommes, il ne cessait de prier jour et nuit. Il était la bonne étoile du roi, et tenait dans ses liens les âmes des méchants. Il enseignait au roi toutes les voies du bien, et ne cherchait la gloire que par la vertu. Le roi demeurait tellement pur de tout mal, que de lui émanait une splendeur divine. Puis il alla et enchaîna Ahriman par ses enchantements, et le monta comme un coursier rapide. Il lui imposa la selle sans relâche, et faisait ainsi le tour du monde sur lui. Les Divs voyant cela, s’affranchirent de ses liens et s’assemblèrent en grand nombre, car il avait laissé vide le trône d’or.
Lorsque Tahmuras eut nouvelle de cela, il revint en hâte pour s’opposer aux entreprises des Divs. Il était ceint de la majesté du maître du monde, il appuyait sur son épaule une lourde massue. Les Divs courageux et les enchanteurs accoururent tous formant une armée immense de magiciens. Le Div noir les précédait en poussant des cris, et leurs hurlements s’élevaient jusqu’au ciel. L’air devint sombre, la terre devint noire, et les yeux des hommes furent enveloppés de ténèbres. Tahmuras, le maître du monde, le glorieux, s’avança les reins ceints pour le combat et la vengeance. D’un côté étaient le bruit, les flammes et la fumée des Divs ; de l’autre, les braves du roi. Tout à coup il engagea avec les Divs un combat qui ne fut pas de longue durée. Il en enchaîna les deux tiers par la magie, il terrassa les autres avec sa lourde massue, et on les amena blessés et honteusement liés ; ils demandaient grâce pour leur vie, disant : «Ne nous tue pas, pour que tu puisses apprendre de nous un nouvel art qui te sera utile.» Le roi illustre leur accorda leur grâce, pour qu’ils pussent lui dévoiler leur secret ; et lorsqu’ils furent délivrés de leurs chaînes, ils demandèrent humblement sa protection. Ils enseignèrent l’écriture au roi, et le rendirent brillant de savoir ; ils lui enseignèrent une seule écriture ? non, près de trente, comme le roumi et le tazi, le parsi, le soghdi, le chinois et le pehlevi, et à les représenter telles qu’on les prononce. Que d’actions glorieuses le roi n’a-t-il pas faites pendant trente ans, outre celles que nous avons racontées ! puis il mourut, et sa vie disparut, mais ses travaux restèrent comme un monument de lui.
O monde ! n’élève personne si tu veux le moissonner après : si tu l’enlèves, pourquoi l’as-tu élevé ? Tu hausses un homme au-dessus du firmament, mais tout à coup tu le précipites sous la terre obscure.
Extrait de : Abou’lkasim Firdousi, Le livre des rois, traduit et commenté par Jules Mohl, tome 1, Paris, Imprimerie nationale, 1876, p. 29-32.
Note : les transcriptions de Jules Mohl ont été le plus souvent modifiées.
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